La Récupératrice, chapitre 6 : le monstre sous le lit

La Récupératrice, chapitre 6 : le monstre sous le lit

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©chariospirale

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Par François Faribeault

Publié le , modifié le

Découvrez notre saga de science-fiction qui parle cette semaine de problèmes de sommeil.

En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).

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En cette nuit sombre, la Lune éclairait à peine la chambre de Soviest. Seul un timide rayon de lumière s’invitait dans la pièce et possédait la force d’éclairer le miroir du placard. Blottie sous sa couette, les bords repliés sur eux-mêmes, Soviest tenait sa tête à l’air libre afin de garder un œil sur le reflet.

Et ce qu’elle y voyait la terrifiait.

Tapi dans l’ombre sous son lit, quelque chose la guettait. Soviest ne distinguait pas son visage, mais devinait que la chose trépignait d’impatience qu’elle s’endorme. C’en était trop.
— Karih ! KARIH !
La porte de la chambre s’ouvrit et apparut une silhouette en robe de nuit. Elle alluma la lumière, faisant disparaître toute trace de la chose.
— Qu’y a-t-il encore, maman ?
— Le monstre est de retour, murmura-t-elle, de peur que la chose l’entende.
La jeune femme soupira. Elle s’approcha du lit et passa sa main sur le front ridé de sa mère.
— Maman, il n’y a rien sous le lit. J’ai regardé avant que tu te couches et il n’y avait rien. Idem pour hier. Et avant-hier. Tu n’as rien à craindre, tu es en sécurité.
— Non, Karih, il est là. Je le sens. Il attend que tu partes pour refaire son apparition. C’est un habitant des ténèbres.
— Je peux te jurer qu’il n’y a rien. Ce monstre n’existe pas. Allez, rendors-toi.
— Karih, ne me laisse pas. Dors avec moi.
— Arrête avec ça, maman ! Je t’ai dit qu’il n’y avait rien ! Tu veux que j’appelle la Récupératrice ? Tu sais ce qu’elle fait aux grands adultes pas sages ?
Le visage de Soviest devint livide. Si le monstre sous le lit l’effrayait, la Récupératrice lui glaçait le sang. La légende racontait que la Récupératrice était une agente de la Mort venant récupérer l’âme des personnes se rapprochant de la fin. Apparemment, afin d’alléger ses victimes, elle se nourrissait de leurs souvenirs. Ainsi, les coquilles vides étaient plus faciles à transporter. Soviest ne voulait pas perdre la mémoire. Elle voulait se souvenir de la belle vie qu’elle avait eue malgré la guerre. Elle voulait se souvenir de sa fille et de son défunt mari.

On sonna à la porte. Karih se demandait bien qui ça pouvait être. Il était tard et elle ne connaissait personne dans le village. Sachant le lieu sûr, elle descendit ouvrir. Deux personnes se tenaient sur le seuil de sa maison.
— Bonsoir, madame, désolée de vous déranger en cette heure tardive, je suis la Récupératrice. Je suis là pour le monstre sous le lit.
— Pardon ?
L’autre inconnue passa devant la Récupératrice pour à son tour se présenter.
— Excusez les manières un peu directes de mon amie. Laissez-moi reprendre. Je suis Therissa, l’administratrice de Clairri. Nous sommes là pour le monstre sous le lit. Permettez ?
Karih ne savait pas de quoi ces deux femmes parlaient, mais elle connaissait bien l’administratrice Therissa. Elle ne la connaissait pas personnellement, mais c’était grâce à elle si elle avait pu trouver refuge ici et vivre gratuitement sous ce toit. Karih laissa entrer les deux femmes et Therissa put expliquer la situation : des parasites avaient envahi le village. Il fallait très vite endiguer l’épidémie avant qu’ils n’envahissent la région. Pour cela, il n’existait qu’un seul remède : la Récupératrice.

Lorsqu’elle vit sa fille entrer dans sa chambre, les yeux de Soviest s’illuminèrent. Puis elle vit deux inconnues, dont son pire cauchemar : combinaison spatiale grise, lunettes rondes, visage sympathique mais dissimulant une grande malveillance. Sa fille avait mis sa menace à exécution et appelé la Récupératrice.
— Une grand-mère ! s’exclama R. J’adore les grands-mères !
Soviest hurla avant de se cacher sous sa couette. Son corps tremblait. Therissa s’approcha du lit et s’exprima d’une voix douce :
— Je sais que la Récupératrice te fait peur, mais ne t’inquiète pas, elle est avec moi. Elle ne te fera rien. Mieux encore, elle vient pour te sauver du monstre sous le lit.
Soviest se détendit et se découvrit légèrement. R adorait les personnes âgées, mais ce n’était hélas pas réciproque, la faute au caractère quasi mythique que son nom recouvrait. Certains de ses exploits avaient dépassé le cadre de la réalité pour s’enchevêtrer à la source même des contes les plus effrayants. La Récupératrice était autant une grande héroïne qu’un démon voleur de mémoire. Étonnamment, les jeunes générations se souvenaient de la première version et les plus anciennes de la seconde.
— Désolée, R, ce serait trop difficile de lui faire changer l’opinion qu’elle a de toi. J’ai dû abréger, il ne faut pas que sa peur s’évapore.
— Aucun souci, j’ai l’habitude. Cependant, vous allez devoir sortir toutes les deux.

Therissa invita son hôte à descendre dans le salon pendant que R se préparait. Voir sa fille et sa protectrice partir inquiéta Soviest, mais R sut trouver les mots pour ne pas la rassurer :
— Bon, mamie, j’ai besoin que tu aies peur. C’est ta peur qui attire la bête. Je vais fermer la porte, éteindre la lumière, et je vais m’approcher de toi en respirant très fort. Tu as le droit de te faire pipi dessus. Tu es prête ?
— Attends !
— Oui ?
Soviest respira profondément. Elle ne savait pas si elle avait davantage peur de la bête ou de la Récupératrice. Mais l’une était venue pour chasser l’autre. Elle devait se montrer un minimum courageuse.
— Tu as peur des monstres ? demanda-t-elle.
— Ce sont eux qui ont peur de moi, sourit R avant d’éteindre.

L’obscurité revenue dans la pièce, Soviest observa le miroir. Celui-ci reflétait toujours son lit. Il lui sembla voir quelque chose bouger. Le monstre était déjà revenu. Tout de suite elle chercha du regard la Récupératrice, mais ne vit rien. Elle avait disparu. Soviest sentit son cœur s’accélérer. Peut-être la Récupératrice avait-elle menti ? Peut-être avait-elle peur et s’était enfuie ? Peut-être même qu’elle s’était alliée au monstre pour la dévorer ?

De son côté, R restait silencieuse et immobile. Observant le dessous du lit depuis un coin de la chambre, elle vit très vite le parasite s’exciter à l’odeur des émotions de Soviest.
R connaissait ces bêtes. Nommées Eraklippes, elles vivaient principalement sous les lits et se nourrissaient de la peur de leurs victimes. Elles n’étaient pas mortelles, juste de simples vampires désirant butiner des émotions fortes. Hélas, elles provoquaient des troubles de sommeil qui, à long terme, pouvaient poser problème.

Lorsque R entendit la créature quitter son terrier, elle se glissa sous le lit. Elle tenta de l’attraper mais le parasite fut plus vif et se réfugia dans ses ténèbres. R ne s’arrêta pas et le suivit à travers le plancher. À l’intérieur, elle découvrit une obscure tanière. Ce terrier était en fait un espace-temps parallèle au plancher de la chambre. R prit son Unicube et joua avec pour former une face unique de couleur jaune. L’Unicube relâcha une lumière aveuglante qui se réfléchit sur les parois du minuscule monde créé par l’Eraklippe.

Blotti dans un coin de son terrier, cherchant à fuir la lumière, le parasite, qui ressemblait à un chat sans poils et sans griffes mais avec des cornes, paraissait aussi agressif qu’apeuré.
– Ah, te voilà. Tu sais que tu n’as pas le droit d’être là. Tu fais peur aux humains. Je sais que pour toi ces émotions sont comme du miel, mais si je te laisse faire, tu vas te reproduire et ce sera la panique dans toute la région. Je vais devoir te relocaliser.
R manipula son Unicube pour ajouter une face blanche à côté de la face jaune. Cette fois-ci, l’objet aspira la bête. Mission accomplie.

Comme l’Eraklippe avait quitté son espace-temps pour rejoindre celui de l’Unicube, la bulle de ténèbres commença à disparaître. R se hâta de rejoindre la chambre.
— Et voilà ! Le petit monstre dort dans ma boîte.
— Vous allez en faire quoi ? demanda Soviest, qui avait abandonné la peur pour laisser place à la curiosité.
— L’entraîner dans des combats à mort afin qu’il acquière de l’expérience et évolue en un monstre encore plus terrifiant.
— Vraiment ?
— Non, c’est une blague. Je ne suis pas une vulgaire braconnière. Je vais le relâcher dans un autre endroit où il se sentira chez lui.
— En fait, vous êtes gentille !
— Évidemment que je suis gentille. Qui a dit le contraire ?
— Les histoires qu’on raconte sur vous disent que vous êtes méchante. Que vous vous en êtes prise à l’Impératrice.
— Ce n’est pas moi ! Mais crois-moi, je trouverai le coupable. Je dois y aller, j’ai encore d’autres lits sous lesquels regarder.
— Bon courage, Récupératrice.
Cette nuit-là, mamie Soviest put enfin profiter d’un cycle de sommeil réparateur.

La suite dans le chapitre 7.

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